Zahraa EL CHAFIF
Soutiendra sa thèse
Mardi 16 décembre 2025 à 14h
Bâtiment 36 – Salle 36.316 (Triolet)
« Membranes nanocomposites pour le dessalement de l’eau »
devant le jury composé de :
– M. David CORNU, Professor, Université de Montpellier ENSCM – Directeur de thèse
– M. Christophe LAURENT, Professor, Université de Toulouse – Rapporteur
– Mme. Mirvat ZAKHOUR, Professeur, Université Libanaise – Rapportrice
– M. Roland HABCHI, Professor, Université Libanaise – Examinateur
– M. Jean-Pierre MERICQ, professeur associé, Université de Montpellier – Examinateur
– M. Akram HIJAZI, Professor, Université Libanaise – Invité
– M. Mikhael BECHElANY, Directeur de recherche au CNRS, Université de Montpellier – Invité
Résumé :
La rareté mondiale de l’eau s’impose comme l’un des défis majeurs du XXIᵉ siècle. La croissance rapide de la population, l’expansion industrielle et la pollution accrue des ressources en eau douce ont collectivement intensifié la demande mondiale en eau potable. Les technologies de dessalement, en particulier celles exploitant les vastes réserves d’eau de mer de la planète, suscitent dès lors un intérêt croissant. Les techniques de dessalement conventionnelles, telles que l’osmose inverse et la distillation multi-étagée, ont atteint un haut niveau d’application industrielle, mais elles demeurent limitées par une forte consommation énergétique, une susceptibilité à la contamination et des coûts opérationnels considérables. La recherche de procédés alternatifs, à plus faible intensité énergétique, plus durables et capables d’assurer un taux de rejet des sels proche de 100 %, apparaît ainsi de plus en plus essentielle.
Dans ce contexte, la distillation membranaire est un procédé de séparation prometteur, entraîné par la chaleur, qui fonctionne efficacement à des températures modérées. Le procédé repose sur une membrane microporeuse hydrophobe séparant un flux d’alimentation salin chauffé d’un flux de perméat plus froid. La différence de température à travers la membrane crée un gradient de pression de vapeur qui entraîne la diffusion de la vapeur d’eau à travers les pores, laissant derrière elle les solutés et sels non volatils. Parmi les différentes configurations de la distillation membranaire, la distillation membranaire à contact direct (DCMD) se distingue par sa simplicité opérationnelle et sa capacité à atteindre un fort taux de rejet des sels dissous, même à des niveaux de salinité élevés. Le procédé DCMD peut être alimenté par des sources d’énergie renouvelables ou thermiques résiduelles, ce qui en fait une option particulièrement prometteuse pour le dessalement durable.
Cependant, malgré son potentiel, l’application à grande échelle de la DCMD reste limitée par des défis liés aux membranes elles-mêmes. Parmi ces obstacles figurent le mouillage des pores, la polarisation thermique, le faible flux de vapeur et l’encrassement lors d’un fonctionnement prolongé. Les performances du procédé DCMD dépendent principalement des caractéristiques physico-chimiques de la membrane, laquelle doit combiner une forte hydrophobicité, une porosité adaptée, une robustesse mécanique élevée et une faible conductivité thermique. Les membranes polymères hydrophobes conventionnelles, telles que le polyfluorure de vinylidène (PVDF), le polytétrafluoroéthylène (PTFE) et le polypropylène (PP), remplissent plusieurs de ces critères mais restent vulnérables au mouillage et à la dégradation structurelle sous des contraintes thermiques et chimiques prolongées.
Pour pallier ces limitations, les chercheurs se sont de plus en plus orientés vers le développement de membranes nanocomposites, dans lesquelles des nanomatériaux sont incorporés à la matrice polymère afin d’améliorer la stabilité thermique et mécanique ainsi que l’efficacité du transfert de masse. Parmi ces nanomatériaux, les nanotubes de carbone (CNT) se démarquent par leur rapport d’aspect élevé, leur conductivité thermique supérieure, leurs propriétés mécaniques remarquables et leur hydrophobicité intrinsèque. Leur intégration dans les matrices polymériques permet d’améliorer la structure poreuse, de faciliter le transport de la vapeur et de réduire les effets de polarisation thermique, conduisant ainsi à une performance membranaire globale accrue.
Ce manuscrit est structuré en cinq chapitres, chacun abordant un aspect différent de l’étude. Le chapitre 1 présente une revue de la littérature complète, offrant un aperçu général de la distillation membranaire à contact direct (DCMD), de ses défis associés et des solutions potentielles. Le chapitre 2 décrit l’ensemble des matériaux et des méthodes utilisés dans le cadre de ce projet. Le chapitre 3 est consacré au développement du système expérimental de DCMD. Il détaille chacun des composants utilisés, avec leurs références et caractéristiques respectives. Le dispositif pilote comprenait des pompes péristaltiques de précision, un bain d’eau à température contrôlée et un suivi en temps réel via des thermocouples et des conductimètres. Un module de membrane plane a été fabriqué en Téflon afin d’assurer une résistance chimique et une stabilité thermique élevées, et son intégrité a été vérifiée à l’aide de membranes tests imperméables. Ce système a permis d’établir une plateforme stable et reproductible pour des études comparatives fiables.
Le chapitre 4 traite de la préparation des membranes en PVDF à l’aide de la méthode d’inversion de phase, ainsi que de leur amélioration par l’incorporation de nanotubes de carbone (CNT). Quatre variantes de membranes ont été synthétisées à l’aide de la technique d’induction de séparation de phase par non-solvant (NIPS), comprenant une membrane de PVDF vierge et des composites PVDF/CNT avec des taux de chargement de 0,1, 0,3 et 0,5 %. Les solutions ont été préparées avec la N,N-diméthylacétamide comme solvant et soumises à une coagulation contrôlée pour induire la séparation de phase. Les membranes obtenues ont été caractérisées par des mesures d’angle de contact, des tests de pression d’entrée de liquide (LEP), la microscopie électronique à balayage (MEB), la diffraction des rayons X (XRD), la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR), la spectroscopie Raman et la calorimétrie différentielle à balayage (DSC). Ces analyses ont confirmé la dispersion homogène des CNT dans la matrice polymère et fourni des preuves quantitatives des modifications structurelles induites par l’incorporation des nanofillers.
Les résultats ont mis en évidence une corrélation directe entre la teneur en CNT et l’amélioration de l’hydrophobicité, de la résistance au mouillage et de la morphologie de surface des membranes. L’angle de contact est passé d’environ 98° pour la membrane de PVDF vierge à près de 140° pour le composite à 0,5 % de CNT, tandis que les valeurs de LEP ont augmenté de 0,7 bar à 1,8 bar, indiquant une résistance accrue à la pénétration du fluide salin dans les pores. Les observations au MEB ont révélé que l’ajout de CNT engendrait une structure poreuse plus interconnectée, favorisant la diffusion de vapeur et réduisant les pertes de chaleur conductrices. La porosité est passée d’environ 73 % pour la membrane de base à 84 % pour la plus forte concentration en CNT, suggérant que les nanotubes favorisant la formation de pores durant l’inversion de phase.
Les performances sous conditions DCMD ont été évaluées à l’aide d’une solution de NaCl de 35 g/L, à un débit de 0,5 L/min. Les résultats ont montré que le flux de vapeur augmentait proportionnellement en fonction de la concentration en CNT, atteignant une valeur maximale d’environ 15,5 L·m⁻²·h⁻¹ pour la membrane à 0,5 %, sans compromettre le rejet de sel. Ces améliorations ont été attribuées aux effets synergiques d’une hydrophobicité accrue, d’une température de surface effective plus élevée et d’une réduction des pertes de chaleur. L’incorporation de CNT a permis de réduire la polarisation thermique en favorisant une distribution plus homogène de la chaleur dans la matrice de la membrane. Par conséquent, les membranes modifiées ont présenté une efficacité et une stabilité opérationnelle supérieures à celles des membranes de PVDF vierges.
En parallèle à la modification des polymères, l’attention s’est portée sur l’identification d’alternatives durables aux polymères fluorés en raison des préoccupations environnementales liées à leur production et à leur élimination. Le chapitre 5 présente la préparation d’un autre matériau à base de polyacrylonitrile (PAN), transformé en matériau riche en carbone par un traitement thermique en deux étapes. Les matériaux obtenus ont été caractérisés à l’aide d’analyses physico-chimiques et de caractérisations de surface. Le polyacrylonitrile (PAN) a été retenu comme candidat en raison de sa capacité à se transformer en matériaux carbonés par traitement thermique. Des nappes nanofibreuses de PAN ont été fabriquées par électrofilage, permettant un contrôle précis du diamètre des fibres et de l’architecture des pores. Ces membranes électrofilées ont ensuite subi un traitement thermique en deux étapes : une stabilisation oxydative à l’air, suivie d’une carbonisation sous atmosphère d’azote, produisant des structures nanofibreuses riche en carbone et hydrophobes.
Les analyses par XRD, Raman, MEB et FTIR ont confirmé la conversion réussie du PAN en membranes carbonées, présentant une stabilité thermique et structurale accrue. Ces membranes ont démontré une porosité élevée, des réseaux de fibres interconnectés et des propriétés hydrophobes prometteuses, les positionnant comme alternatives écologiquement viables pour la distillation membranaire. La transition des structures polymériques vers le PAN carbonisé a introduit des avantages supplémentaires, notamment une conductivité électrique accrue et la possibilité de chauffage localisé par stimulation externe, ce qui pourrait réduire l’encrassement et favoriser l’auto-nettoyage.
Sur cette base matérielle, des innovations au niveau du système ont été explorées pour renforcer la durabilité du DCMD. Une configuration assistée par énergie solaire a été conçue, intégrant un module à membrane plane à un collecteur solaire thermique afin d’utiliser l’énergie renouvelable comme source de chaleur motrice. L’efficacité thermique du système sera renforcée par l’application de revêtements fonctionnels sur la surface des membranes. Le dioxyde de titane (TiO₂) sera étudié pour sa double capacité de conversion photothermique et d’auto-nettoyage photocatalytique. Sous exposition aux ultraviolets, le TiO₂ devra favoriser la dégradation des polluants organiques, maintenant ainsi la performance à long terme des membranes. Des revêtements au nitrure de bore (BN) seront également explorés pour leurs hautes propriétés de conductivité thermique et d’isolation électrique, permettant un chauffage localisé par effet Joule sous de faibles potentiels électriques. Ce mécanisme devra offrir un chauffage in situ contrôlé, réduire la cristallisation saline et améliorer la stabilité du flux de vapeur.
La modification des matériaux, l’adaptation environnementale et l’intégration d’énergies renouvelables illustrent ensemble l’approche multidimensionnelle nécessaire à l’avancement de la distillation membranaire vers une mise en œuvre pratique. L’incorporation de CNT dans les matrices de PVDF a permis une amélioration notable du flux de vapeur et de la durabilité, tandis que les membranes électrofilées à base de PAN offrent une alternative non fluorée et durable sans compromettre la performance fonctionnelle. L’intégration de revêtements photothermiques et électroactifs constitue une étape supplémentaire vers des systèmes de dessalement autonomes à faible consommation énergétique.
Les résultats de cette recherche contribuent à une meilleure compréhension de l’influence de la conception nanométrique sur le comportement macroscopique du dessalement. En optimisant l’architecture membranaire, l’énergie de surface et les propriétés de transfert thermique, il devient possible de minimiser les effets de polarisation, d’allonger la durée de vie opérationnelle et d’accroître l’efficacité énergétique. Ces avancées s’inscrivent dans l’objectif global d’une gestion durable de l’eau par une ingénierie respectueuse de l’environnement. Les progrès décrits ici renforcent non seulement la faisabilité technique du DCMD, mais positionnent également cette technologie comme une voie crédible pour un dessalement local et alimenté par des énergies renouvelables, capable de répondre aux besoins croissants en eau potable.








